Le théâtre Zingaro reprend 'Darshan' à
Aubervilliers. Incontestablement, l'univers de Bartabas, entre art
scénique et passion du cheval, reste un mystère pour beaucoup. Il était
temps de rencontrer cet escogriffe de la scène.
Si le centaure est une créature
a priori mythologique, il en existe un spécimen contemporain. Digne héritier de Chiron,
Bartabas le Furieux a élu domicile dans la banlieue Nord de Paris, à Aubervilliers. Loin,
très loin des plaines helléniques, le chorégraphe cavalier s'est
construit un monde. En créant
Zingaro,
il y a tout juste vingt-cinq ans, l'artiste s'est volontairement
dissous dans son art. Un quart de siècle que le théâtre équestre a fait
son apparition dans le milieu culturel ; un quart de siècle que Bartabas
fait danser les chevaux et les hommes ; autant d'années qu'il séduit ou
intrigue. Au coeur de son repère, l'homme nous reçoit dans son bureau.
Même en dehors des box, le cheval reste omniprésent : sculpté dans le
bronze, photographié ou peint, tel ce portrait équin de
Théodore Géricault toisant quiconque entre dans la pièce. Bartabas livre alors une partie
de ses secrets, quelques bribes de sa passion, mais reste difficile à
cerner. Il faut le voir sur scène ou en selle pour mieux le comprendre.
C'est un secret connu de tous : c'est à quatre jambes qu'il se raconte
pleinement.
Zingaro est une célébration de l'art équestre. Pouvez-vous expliquer ce terme ?L'art
équestre est un art majeur au même titre que la danse et la musique,
car on peut y exprimer des émotions universelles. Il parle de la
relation de l'homme et du cheval, exactement comme un danseur va parler
de son rapport au corps ou à autrui.
Ce qui m'intéresse, c'est de bien décrire cette relation entre l'homme et l'animal ; pas tellement de montrer des chevaux. Pour en voir, il n'est pas nécessaire d'aller à Zingaro.
'Darshan'
marque une véritable rupture par rapport aux autres spectacles de
Zingaro. Le sujet est plus cérébral et la mise en scène, réinventée.
Pourquoi ce changement radical ?Chaque spectacle, '
Darshan'
comme les autres, est une remise en questions. Ceux qui connaissent
bien Zingaro ont l'habitude d'être surpris à chaque création : passer
des moines tibétains aux musiciens tziganes, puis aux chanteurs du
Rajasthan… J'essaie de ne pas être là où l'on m'attend, même si chaque
auteur a toujours son propre univers et qu'il reste des constantes.
Cette fois, le changement est plus spectaculaire.
Physiquement, le
spectateur est bouleversé puisqu'il se retrouve dans une position où il
n'a jamais été, c'est-à-dire au centre de la piste. Sa perception
est singulière puisque personne ne voit la même chose. Cela lui demande
une attention toute particulière. Il peut même ressentir une certaine
frustration à essayer de tout voir. Il doit se laisser bercer, se
laisser venir, un peu comme dans un rêve.
Peut-on davantage parler d'un cauchemar ?Bien
sûr. Le thème de 'Darshan' est le cheval comme vecteur de voyage, dans
tous les sens du terme. Aussi bien physique, culturel - à travers les
itinéraires et les musiques - que psychanalytique. Il s'agit vraiment de
révéler le petit cheval que chacun a dans sa tête. Il y a un retour à
l'enfance, entraînant effectivement des images cauchemardesques.
C'est
au spectateur d'y voir ce qu'il veut. C'est le propre des spectacles de
Zingaro d'avoir plusieurs niveaux de lecture. A chacun d'y prendre ce
qui correspond à sa sensibilité et à son vécu. C'est d'ailleurs le propre d'une oeuvre d'art : laisser au spectateur la place pour y pénétrer et se l'approprier.
Par rapport à 'Loungta' ou 'Battuta' par exemple, la présence de l'animal est bien plus suggestive dans 'Darshan'. Pourquoi ?C'est
justement le thème du spectacle : la perception mentale qu'on se fait
du cheval. Quant à sa présence, je ne suis pas tout à fait d'accord.
Il
ne s'agit pas de projections : l'ombre chinoise, c'est la présence
derrière l'écran. Les chevaux ne sont pas là physiquement, on ne les
voit pas en chair et en os, mais on les sent derrière le voile. D'ailleurs, on apprécie encore davantage les détails en voyant des
choses qu'on ne décèle pas normalement. En fait, on offre une autre
image de l'animal. Lire la suite de
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Rencontre avec Bartabas
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